Connu pour ses robes de métal et ses prédictions douteuses, cet architecte de formation, également designer de mobilier et parfumeur visionnaire, a inventé une mode pionnière.

Le couturier franco-espagnol Paco Rabanne dans son atelier de couture à Paris, le 10 juillet 1979. | Pierre Guillaud / AFP

«Le métallurgiste de la mode»: c’est le surnom que lui avait donné Coco Chanel, jamais avare de piques à l’encontre de ses confrères. Le couturier et parfumeur franco-espagnol Paco Rabanne s’est éteint le 3 février à Portsall, dans le Finistère –il s’y était installé enfant, en 1939, fuyant le franquisme à la suite de l’exécution de son père.

Une petite ville au nom rendu indissociable de l’Amoco Cadiz, le navire-citerne dont le naufrage en 1978 avait provoqué la pire marée noire du XXe siècle. Une catastrophe écologique majeure que Paco Rabanne n’avait pourtant pas prédite: son mysticisme (il prétendait avoir rencontré Dieu et des extraterrestres), une certaine obsession pour les vies antérieures et sa propension à annoncer de fracassantes prédictions nostradamiennes lui ont souvent valu d’être la cible de moqueries dans les médias.

Son talent visionnaire a cependant durablement marqué l’histoire de la mode. Pour financer ses études d’architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, qu’il fréquente de 1951 à 1963, il dessine vêtements et accessoires de mode, notamment pour Charles Jourdan. Il n’a initialement pas l’intention de s’y consacrer entièrement, se focalisant principalement sur l’architecture. Non sans talent: en 1963, le Musée d’art moderne expose sa «sculpture habitable pour jardin», lauréate de la Biennale de Paris.

Une mode sans fil ni aiguille

Mais Paco Rabanne continue d’expérimenter des techniques de fabrication empruntées aux mondes de l’architecture et du design, explorant les possibilités de matériaux variés en les appliquant au domaine de la mode. Pour Balenciaga (sa mère travaillait comme petite main dans la maison de couture), Givenchy, Courrèges, Cardin ou Nina Ricci, il crée des accessoires ou broderies uniques, sans jamais avoir recours à un fil ou à une aiguille. C’est une première. Fasciné par le métal et le Rhodoïd (une matière plastique et incombustible), il développe des accessoires de mode puis les fameuses robes qui ont fait sa gloire.

Une intervention dont Jean-Charles de Castelbajac souligne le caractère novateur, confiant à France Info : «La mode lui doit cette transcendance d’une matière qui n’était pas destinée à la mode, cette idée d’armure, d’une armure féminine, un savoir-faire qui est l’incarnation d’un savoir-faire français, de la haute couture.» La révolution Rabanne est annoncée: sa première collection s’intitule «Manifeste». Nous sommes en 1966, et Paco présente «douze robes importables en matériaux contemporains» faites de plaques de métal et de Rhodoïd. Il rejoint aussitôt le firmament des créateurs labellisés «Space Age».

Le tremblement de terre provoqué par la fameuse collection est immortalisé la même année au cinéma par William Klein dans la scène d’ouverture de sa comédie satirique Qui êtes-vous, Polly Maggoo?.

Jean-Luc Godard, Stanley Donen (Dans Two for the Road, Audrey Hepburn porte une robe «indémontable» faite de 2.566 pièces de métal rivetées à la main) ou Roger Vadim lui commandent aussitôt des costumes. Ceux de Jane Fonda dans Barbarella, justaucorps cintré fait de lamelles métalliques vertes ou corset de plastique moulé, resteront dans les annales –tout comme les minirobes de pièces de métal portées par une autre égérie des années 1960, la chanteuse Françoise Hardy.

Des Jeanne d’Arc avant-gardistes au musée

Le mobilier est un autre centre d’intérêt pour Rabanne: dans les années 1970, après avoir meublé son propre studio, il dessine nombre de tables basses, commodes ou chaises, seul ou en collaboration avec d’autres designers, pour le bénéfice de marques ou proposés en auto-édition et séries limitées en galerie.

Il continue de détourner les matériaux les plus inattendus, créant des vêtements de papier, en cuir fluorescent, en aluminium tricoté comme une cote de maille. En transformant la femme en Jeanne d’Arc des temps modernes, il les accompagne dans une «conquête nécessaire», insiste-t-il alors. Entré dans les collections de divers musées comme le MoMA de New York, il renforce encore son image de créateur visionnaire en lançant en 1969 son premier parfum: Calandre.

Un nom aussi avant-gardiste que les effluves métalliques du jus, vendu dans un flacon à l’épure totalement inédite qui lui vaudra de figurer, lui aussi, dans les vitrines de musées de design. Calandre ne sera que le premier d’une longue série de parfums (1 Million, XS…) dont le succès ne se démentira pas, figurant régulièrement sur la liste des lauréats des Fragrance Foundation Awards, considérés comme les «Oscars» du parfum. Adossés à la maison espagnole Puig, les créations olfactives signées Rabanne caracole en tête des meilleures ventes.

Visuel de la collection par Manish Arora, directeur artistique de Paco Rabanne en 2012. |

Vasarely x Paco Rabanne

Retiré de la haute couture dans les années 2000, il se consacre au prêt-à-porter. Confiant peu à peu sa maison de couture à plusieurs directeurs artistiques, Paco Rabanne s’adonne à la peinture et au design de mobilier. En 2007, âgé de 72 ans, il élabore avec la marque Aïtali une série de chaises présentées au salon Maison&Objet à Paris.

L’an dernier, Julien Dossena, directeur de la création de la marque de prêt-à-porter Paco Rabanne, annonçait une collaboration avec la fondation Vasarely. La collection «Universe», présentée dans le grand magasin Selfridges à Londres, dévoilait cinquante-cinq œuvres du pape de l’Op Art accompagnant la collection printemps-été 2022 Paco Rabanne, elle-même évidemment inspirée de l’œuvre de Vasarely. Tout en renouant avec les matériaux favoris et les fondamentaux du couturier.

«C’est une mode qui n’existait pas avant lui», explique Dossena. «Il y a une idée d’avant-garde qui n’appartient qu’à lui. Une vision toute personnelle (…), une réalité dans la couture moderne. Sa démarche très sincère, sa pure expression, son utopie ont transformé la mode. En ça, il est un révolutionnaire.»

Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *